Dénigrer sa hiérarchie sur Internet : faute ou liberté ?
[ 01/06/10 Les Echos ]
La réponse de Marie Hautefort (*)
C'est au conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt qu'est échu le redoutable honneur de répondre le premier à cette question.
Trois salariés de la société Alten ont en effet été licenciés pour faute grave il y a quelques mois, en raison d'échange de critiques, entre collègues, sur Facebook.
Les propos incriminés ont été tenus un samedi soir, à partir des ordinateurs privés des salariés. L'un d'eux, se plaignant de son supérieur et du DRH sur sa page personnelle, avait plaisanté en déclarant faire partie du « club des néfastes ». Ses collègues avaient répliqué par le très répandu « bienvenue au club ».
Un autre salarié, accepté comme « ami » (au sens donné par Facebook à ce terme) par les autres, prend connaissance de cet échange, le copie et le transmet à sa direction, qui réagit par un licenciement immédiat, tout en proposant une transaction qu'un seul des trois intéressés va accepter. Les deux autres optent pour le procès.
L'affaire est passée le 20 mai aux prud'hommes mais les quatre conseillers n'ont pas réussi à se départager, il est donc prévu, conformément à l'article L. 1454-2 du Code du travail, que l'affaire revienne à une autre séance devant le même bureau complété et présidé par un juge du tribunal d'instance.
La société Alten s'est donné beaucoup de mal pour faire comprendre aux juges qu'elle n'avait pas violé la vie privée des salariés puisque les propos à l'origine du licenciement n'ont pas été « piratés » mais communiqués par un tiers. Débat inutile, la question ne se serait posée que si les échanges avaient eu lieu en utilisant les ordinateurs mis à disposition des salariés par l'employeur.
Devoir de réserve
En fin de compte, la situation est exactement la même que si les critiques portées sur l'entreprise avaient été surprises dans la rue ou dans un dîner en ville, à la différence près qu'elles ont été écrites et donc copiables. Le problème soumis aux juges est celui de la liberté d'expression hors de l'entreprise. Un salarié est-il, ou non, tenu à un devoir de réserve à l'égard de son employeur ?
On peut s'étonner de l'hésitation des conseillers boulonnais alors que, depuis 1988, la Cour de cassation a reconnu au salarié une grande liberté d'expression, dès qu'il est hors de l'entreprise. On se souvient de l'affaire Clavaud (Cass. soc., 28 avr. 1988) : cet ouvrier avait accordé une interview à « L'Humanité » où il avait tracé un tableau très noir des conditions de travail de son entreprise.
Non seulement il se vit reconnaître le droit de s'exprimer, mais son licenciement fut considéré comme nul pour avoir été prononcé en violation d'une liberté. Cette jurisprudence a, depuis, été largement confirmée (Cass. soc., 5 mai 1993, 7 oct. 1997, 28 mars 2000).
Si donc, malgré tout, les juges ont une hésitation et s'il s'est trouvé deux juges sur quatre pour approuver le licenciement, c'est qu'il y a un élément nouveau et cet élément, c'est Internet qui démultiplie la portée des critiques émises et donc du préjudice subi par l'employeur.
* Editions Lamy
Les Echos