Excellente analyse de Rubin Sfadj :
iPad, l'ordinateur automatique
Après quelques lignes à chaud, j'avais prévu d'écrire quelque chose de plus long et de plus fouillé sur l'iPad. Mais le temps manque, et très franchement, beaucoup, beaucoup de gens ont fait en l'espace de deux jours beaucoup mieux que moi.
Je me contenterai donc de vous traduire une partie du billet que John Gruber a publié sur le sujet, qui synthétise parfaitement mon opinion de principe sur l'iPad, au-delà des questions d'ordre purement technique (multi-tâche, webcam, etc.) :
Avant, pour conduire une voiture, vous, le conducteur, deviez manipuler une pédale d'embrayage et une levier de vitesses pour que la transmission change manuellement de vitesse lorsque vous accélériez et décélériez. Vint ensuite la transmission automatique. Avec une automatique, la transmission devient entièrement abstraite. L'embrayage disparaît. Pour accélérer, vous appuyez simplement plus fort sur la pédale.
C'est ce qu'Apple est en train de faire avec l'informatique. Une voiture à transmission automatique passe encore les vitesses ; mais le conducteur n'a pas besoin de le savoir. Un ordinateur tournant sous iPhone OS a encore une arborescence de fichiers hiérarchique ; mais l'utilisateur ne la voit jamais.
Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de compromis à faire. Les amateurs de voitures (et les authentiques experts comme les pilotes de course) conduisent encore des voitures à transmission manuelle. Elles offrent plus de contrôle ; elles sont plus efficientes. Mais la vaste majorité des voitures vendues aujourd'hui sont des automatiques. Il en sera de même avec les ordinateurs. À terme, la vaste majorité seront comme l'iPad en termes du degré d'abstraction de l'ordinateur sous-jacent. Les ordinateurs manuels, comme les Macs et les PC sous Windows, passeront lentement du standard à la niche, intéressant uniquement les experts, les amateurs et les développeurs.
Gruber a tout juste : l'annonce et la présentation de l'iPad ont eu un effet moindre, auprès des experts et autres geeks, que celles de l'iPhone, tout simplement parce que la technologie employée est assez largement identique. Il faut se souvenir des cris et des hourahs entendus dans la salle de conférence où, en 2007, Steve Jobs a révélé le premier iPhone et son interface multi-touch. Il est logique qu'une interface déjà vue ne produise pas les mêmes réactions deux ans plus tard.
Mais mercredi, Apple a en réalité révélé la partie la plus importante de sa stratégie : l'interface de l'iPhone n'était pas spécialement destinée à être utilisée sur un smartphone ; depuis le début, elle a été conçue pour remplacer nos bonnes vieilles interfaces graphiques, qu'il s'agisse de Windows, Mac OS ou Linux.
L'interface des premiers ordinateurs "personnels" était entièrement basée sur l'entrée de texte à l'écran : pour les utiliser, il fallait, au sens propre du terme, apprendre un nouveau langage. Puis Apple inventa l'interface graphique, dans laquelle la souris remplace la saisie de codes abscons sur un écran noir, et les ordinateurs envahirent les maisons encore plus vite qu'ils n'avaient été adoptés par les entreprises.
De même, jusque récemment, le mot "ordinateur" renvoyait à un ensemble composé d'un écran, d'une tour et d'une forêt de câbles. Mais en quelques années, le PC de bureau a pratiquement déserté les foyers pour céder la place au portable, plus simple à installer et transportable d'une pièce à l'autre, d'un lieu à l'autre.
En portant l'interface multi-touch de l'iPhone sur un écran de 10 pouces, Apple démontre que l'iPad n'est absolument pas un "gros iPhone" : au contraire, c'est l'iPhone qui était un "petit iPad", première étape d'une nouvelle réinvention de l'interface utilisateur. À ce titre, l'iPad est le témoin d'une (r)évolution dans un premier temps essentiellement technique : c'est un "ordinateur automatique", une simple dalle de verre et d'aluminium dont l'utilisation ne requiert pratiquement aucun apprentissage. Un enfant de 5 ou 10 ans pourrait utiliser un iPhone ; il en sera de même avec l'iPad.
Évidemment, toutes les révolutions techniques de cette ampleur entraînent d'autres révolutions, notamment en matière de distribution et d'accès à l'information — les industriels préfèrent parler de "contenus", mais c'est bien d'information qu'il est question. Dès lors, en ce qu'il rend l'accès à l'information véritablement libre (c'est-à-dire à la fois intuitif et immédiat), l'iPad n'est certainement pas le fossoyeur de la "gratuité" honnie par les uns ou du "piratage" combattu par les autres.
Il n'est pas exclu que l'industrie musicale, les studios, l'édition, la presse, etc. y trouvent de nouveaux débouchés, et de quoi étoffer des business plans qui commencent à dater. Mais les revenus ne tomberont tout cuits dans la bouche de personne : inlassablement, l'innovation appelle l'innovation. C'est cela, le progrès.
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